vendredi 28 janvier 2011

Le révolutionnaire de Teleperformance Spécial Tunisie

Cocréateur d’un syndicat sur un site de la multinationale, Bouali Dahmani dénonce un système bafouant les droits des travailleurs. Tunis, envoyée spéciale.

«La liberté, ça se conquiert. Il ne faut pas attendre qu’on vous l’offre. » Bouali Dahmani n’a pas attendu la révolution tunisienne pour briser le silence et surmonter la peur de la répression. Salarié d’un centre d’appels de la multinationale française Teleperformance, ce trentenaire, avec une poignée de récalcitrants, a défié, dès 2007, la direction de l’entreprise en montant un syndicat. Ni les convocations de la « directrice des relations humaines » ni les menaces de licenciement ne l’ont dissuadé de réunir, avec quelques collègues, les cinquante adhésions indispensables à la reconnaissance d’une section syndicale sur son site de travail, dans la zone industrielle de Tunis.
Depuis, tout a changé. Dès sa création, le jeune syndicat a vu sa première lutte aboutir. « Alors qu’une politique de gel des salaires régnait depuis l’arrivée de l’entreprise en Tunisie, en 2000, nous avons obtenu une augmentation de 30 %. Jusque-là, les conseillers clients, pourtant tous diplômés, gagnaient à peine l’équivalent de 200 euros », raconte ce Tunisien du Sud, originaire de Tozeur, venu à Tunis pour trouver du travail.
Depuis, les salariés de son centre d’appels n’ont pas désarmé, exigeant avec succès, au fil des bras de fer avec la direction, de meilleures conditions de travail, des droits sociaux et surtout davantage de respect et « la fin des abus de pouvoir ». Pour les téléacteurs de cette entreprise qui gère les relations clients d’Orange ou de SFR, le travail, physiquement usant, est aussi psychiquement épuisant. « On nous assigne des objectifs impossibles. Soumis aux pressions, parfois aux insultes de clients mécontents, nous sommes évalués et surveillés en permanence. Sans parler des troubles de la vue et de l’audition qui se manifestent chez les salariés », expose Bouali Dahmani.
Alors que l’entreprise vante, sur son site, son engagement en faveur de « l’environnement de travail professionnel le plus agréable possible », il a dû batailler ferme, avec ses camarades, pour obtenir des chaises ergonomiques, des casques-micros et des écrans munis de filtres. Le syndicaliste décrit les arcanes d’un système taillé sur mesure pour les investisseurs étrangers attirés par les profits faciles : « Ils sont exemptés d’impôts pendant dix ans, en contrepartie de l’embauche de salariés très qualifiés, sous-payés et jusqu’ici trop terrorisés pour se syndiquer », grince-t-il.
En 2008, le bénéfice net du groupe a bondi de 18,9 %, passant de 97,9 millions à 116,4 millions d’euros. En 2009, pour remédier à une perte d’exploitation de 36 millions pour un chiffre d’affaires de 300 millions d’euros, Teleperformance a engagé une importante restructuration, avec l’objectif de réduire de 15 % ses effectifs français pour accélérer le mouvement de recrutement sur ses six sites tunisiens. « Ils ont accentué la pression sur nous pour combler leurs pertes dues à la crise mondiale et rétablir leur rentabilité », décrypte Bouali Dahmani. Pour ce jeune père de famille, heureux d’imaginer son fils de dix-sept mois vivre dans une « nouvelle Tunisie », Ben Ali a fait du pays « un paradis pour les capitalistes français, dont l’unique souci est de faire de l’argent ». « Ils ont profité au maximum de ce système où les droits humains et les droits des travailleurs étaient piétinés, regrette-t-il d’une voix posée. Nous n’avons pas de problème avec les investisseurs étrangers. Pour nous, c’est de l’emploi. Mais qu’ils respectent l’être humain et des critères de travail décent. »
R. M.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

agenda